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          D
        
        
          ictionnaire
        
        
          des mots
        
        
          en
        
        
          voie
        
        
          de
        
        
          disparition
        
        
          de disparition. Il y a flambée des prix sur les marchés. Le capital-diversité
        
        
          déclinant des plantes, des animaux et des cultures locales devient l’objet
        
        
          de toutes les spéculations, notamment touristiques. Tout ce qui devient
        
        
          rare provoque des grimpées en Bourse.
        
        
          Nous avons donc la chance exceptionnelle, vous et moi, de vivre notre vie
        
        
          personnelle au cœur d’un moment unique de notre longue histoire de six
        
        
          millions d’années, ce qu’on appelle en mathématiques le
        
        
          point d’inflexion
        
        
          d’une courbe. Tonton Malthus n’aurait pas pu inventer une illustration
        
        
          aussi parfaite de sa théorie selon laquelle la consommation de l’espèce
        
        
          ne peut pas croître durablement de façon géométrique tandisque les
        
        
          ressources régressent de façon arithmétique. Aucune autre génération
        
        
          ne pourra sans doute jamais autant savourer la sensation aiguë du provi-
        
        
          soire, de l’éphémère, de la fin d’un monde sûrement, de la fin du monde
        
        
          peut-être.
        
        
          Peut-être bien que tout s’explique au fond par la simple découverte des
        
        
          énergies fossiles et de leurs pouvoirs étranges. Derrière la spectaculaire
        
        
          croissance de l’Europe, de l’Amérique et plus récemment de la Chine,
        
        
          il n’y a au fond qu’un effet de levier dû au pétrole. Comme les épinards
        
        
          rendaient Popeye mille fois plus fort, le pétrole permet à un agriculteur
        
        
          motorisé de produire aujourd’hui cent fois plus de calories-céréales que
        
        
          son ancêtre armé d’une faux.
        
        
          Mais qu’est-ce que le pétrole ? C’est le produit de la condensation énergé-
        
        
          tique d’une bonne partie de la biomasse au cours des cinq cent derniers
        
        
          millions d’années, piégée dans le sous-sol et transformée par de patientes
        
        
          réactions chimiques. C’est en quelque sorte du soleil « zippé », un héri-
        
        
          tage d’un demi-milliard d’années. C’est le bas de laine de Grand-Maman
        
        
          Nature, fruit de toute une vie d’économies, découvert par hasard par les
        
        
          petits-enfants indignes que nous sommes et flambé à Vaux-le-Vicomte en
        
        
          une seule soirée. Le temps du pétrole, soit environ 200 ans, sur une échelle
        
        
          de 500 millions d’années, c’est en effet un rapport d’environ 9 minutes à
        
        
          l’échelle d’une vie de 80 ans. Que trinquent les coupes de champagne !
        
        
          Toutes les disciplines savent que les excès induisent rapidement un excès
        
        
          contraire, équivalent dans le rapport intensité/durée. Les économistes
        
        
          appellent cela le cycle de Kondratiev, les historiens ou les sociologues
        
        
          une réaction, les psychologues une surcompensation, les horlogers un
        
        
          mouvement de balancier. Le Big Bang de notre jeunesse va maintenant
        
        
          se transformer en Big Crunch. Peut-être est-ce une histoire de quelques
        
        
          années encore ? Personne ne sait exactement combien. Mais nous aurons