L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
        
        
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          ouple
        
        
          Vous provoquiez la jalousie des uns et l’admiration des autres. Vous
        
        
          étiez l’ambition des jeunes et le regret des anciens. Et cependant vos
        
        
          occupants n’étaient pas toujours très heureux. On vous disait aliénant,
        
        
          étouffant, castrateur. On vous reprochait de plomber les joies des ren-
        
        
          contres constamment renouvelées, des existences qui se réinventent avec
        
        
          obstination. Vous vous défaisiez alors dans la douleur. Les enfants de vos
        
        
          locataires passaient le reste de leur vie en amertume ou en reproches.
        
        
          Votre nouveau visage est moins traumatisant. Il est moins exclusif
        
        
          et moins durable. Il est au départ limité par les clauses d’un contrat :
        
        
          vous pouvez, si vous le souhaitez, vous limiter à quelques semaines ou à
        
        
          quelques années. Vous n’aurez plus à abriter des mensonges.
        
        
          Vous n’offrez plus cependant cet abri qui permettait les œuvres, le travail
        
        
          passionné, les familles passionnantes. Vous n’offrez plus cet entonnoir
        
        
          des énergies qui permettait de construire. Vous n’êtes plus un domicile
        
        
          fixe, vous êtes devenu un hôtel, un hôtel de luxe parfois, mais toujours
        
        
          un hôtel de passage. Régulièrement vous recevez de nouveaux arrivants
        
        
          avec de beaux sourires. Régulièrement vous laissez repartir des figures
        
        
          désolées. Vous n’êtes plus aujourd’hui que le cadre artificiel d’un divertis-
        
        
          sement passager.
        
        
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          rise
        
        
          La « crise » est habituellement ce qui échappe à l’ordinaire. Une « situa
        
        
          tion de crise » est traditionnellement une période d’exception, un
        
        
          momentà la fois brutal et court comme la « crise politique » de 1958, la
        
        
          « crise sociale » de Mai 68 ou la « crise économique » de 1929 ou 2008.
        
        
          Pendant longtemps, la crise fut, par définition, ce qui se soustrayait à la
        
        
          banalité.
        
        
          Il est donc tout à fait paradoxal de voir se
        
        
          
            banaliser
          
        
        
          la notion même de
        
        
          crise. En effet, la crise s’installe de plus en plus dans la vie quotidienne.
        
        
          Depuis quelques années, les crises se sont tellement multipliées, dans la
        
        
          vie de la cité comme dans celle de l’entreprise, que l’extraordinaire est en
        
        
          train de devenir ordinaire.