L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
        
        
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          européennes exige que les « citoyens » européens se sentent libres et
        
        
          égaux. Le confort des élites dynastiques et le maintien des situations de
        
        
          rentes corporatistes supposent que les consommateurs ne soient libres
        
        
          que d’une seule chose : consommer – les centres commerciaux le samedi
        
        
          après-midi, les bars et les restos le samedi soir, les plages et les autoroutes
        
        
          pendant les vacances. La France est un pays paradoxal qui se veut la fois
        
        
          individualiste et hiérarchique : il est indispensable que les Français se
        
        
          croient libres et égaux ; il est indispensable qu’ils ne le soient pas.
        
        
          On peut bien entendu faire la révolution et décapiter le roi. On est en
        
        
          France, on est habitué historiquement à ce genre de procédure. Mais cela
        
        
          suffira-t-il ? Les rois sont comme les champignons dans la forêt mouillée
        
        
          d’automne : ils repoussent d’autant plus vite qu’ils sont… petits ?
        
        
          Dans ce contexte européen, la revalorisation du caractère au sein de la
        
        
          personnalité se présente comme une hérésie libératrice. Hérétique elle
        
        
          est car, comme les hérésies aryenne, cathare, albigeoise ou protestante,
        
        
          elle pose que l’individu peut exister en dehors de la pensée unique, du
        
        
          dharma
        
        
          officiel (celui des prêtres enseignants ou médiatiques) et des
        
        
          autoroutes qui le conduisent le samedi à l’hypermarché puis à l’abrutisse-
        
        
          ment. La logique du caractère conduit de ce point de vue à une certaine
        
        
          forme d’anarchie car elle dispense de faire comme tout le monde. C’est
        
        
          pourtant en ce sens qu’elle rend aux hommes leur liberté à l’intérieur du
        
        
          cadre réaliste de leurs contraintes personnelles.
        
        
          Entre la liberté et la cohésion sociale, l’Europe hésite encore ; la France
        
        
          n’a toujours pas choisi son camp, écartelée qu’elle est entre ses tradi-
        
        
          tions centralisatrices, l’évaporation des frontières et les mutations
        
        
          technologiques qui font de chacun un être libre mais seul. D’où peut-
        
        
          être le record mondial de consommation d’antidépresseurs et les vagues
        
        
          actuelles de suicides dans les grandes entreprises encore hiérarchisées.
        
        
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          ause
        
        
          unique
        
        
          Dans une société hiérarchisée, il est facile de trouver « le » responsable, au
        
        
          singulier. De la recherche de la monoresponsabilité, on glisse facilement à
        
        
          celle de la monocausalité. Et c’est pourquoi vos grands-parents aimaient
        
        
          autant trouver l’Explication avec une majuscule, la seule bonne explica-
        
        
          tion homologuée par le ministère et confirmée par l’Académie française.