L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
        
        
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          mal comment une civilisation frénétique pourrait se passer de frénésie.
        
        
          Imaginons une situation stable et paisible : quels nouveaux produits pour-
        
        
          raient séduire les consommateurs ? Quelles nouvelles pourraient justifier
        
        
          l’écoute de la radio ? La première vertu d’une « nouvelle » n’est-elle pas
        
        
          d’être précisément nouvelle ? Beaucoup d’organisations ne doivent leur
        
        
          existence qu’à la sortie hebdomadaire, mensuelle ou annuelle de crises
        
        
          majeures (en fonction de la fréquence de leurs publications) : les infor-
        
        
          mateurs, les commentateurs, les régulateurs, les accusateurs et même
        
        
          les pompiers. À quoi bon être pompier si l’incendie ne se déclenche pas
        
        
          régulièrement (et même, idéalement, pendant les horaires de travail fixés
        
        
          par les conventions collectives) ? L’État lui-même a besoin de périls exté-
        
        
          rieurs pour redresser la barre dans la tempête et justifier sa raison d’être :
        
        
          les dictateurs le savent bien, qui ont toujours un responsable à désigner.
        
        
          Les nations elles-mêmes ont besoin de défis constamment renouvelés
        
        
          pour polariser leurs énergies, donner un axe à leur économie et un
        
        
          modèle à leur organisation sociale. Si les crises n’existaient pas, il faudrait
        
        
          les inventer.
        
        
          Mais d’une certaine manière, tout cela a toujours existé. Depuis le début
        
        
          du xx
        
        
          e 
        
        
          siècle, un phénomène nouveau a fait son apparition.
        
        
          
            2/ L’explosion de l’anthroposphère
          
        
        
          De 1900 à 2000, la population mondiale a été multipliée par 4. Vers 2030,
        
        
          elle aura été multipliée par 6, passant de 1 milliard et demi environ d’indi-
        
        
          vidus à un peu plus de 9 milliards. Ces hommes, plus nombreux, sont éga-
        
        
          lement plus grands, plus gros, plus gourmands. Ils mangent davantage, et
        
        
          ils mangent surtout de la viande, ce qui exige beaucoup plus d’hectares
        
        
          cultivés et beaucoup plus d’eau douce. Ils vivent également plus vieux
        
        
          et se déplacent davantage. Au final, la facture est salée : en calories et en
        
        
          tonnes de CO2. On va vers la banqueroute. Et bien évidemment cela crée
        
        
          des remous et aussi le vague sentiment d’être à la fin du monde ou à la fin
        
        
          d’un monde, à la fin de l’Empire romain, au commencement d’un nouveau
        
        
          Moyen Âge obscur et inquiétant. Chacun pique sa crise. Et c’est normal.
        
        
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