L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
        
        
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          amburger
        
        
          Le design gastronomique permet désormais de concevoir des sandwichs
        
        
          créatifs dont il est possible de personnaliser non seulement la composi-
        
        
          tion, mais également la couleur ou la forme. Il vous sera bientôt possible,
        
        
          le jour de la Saint Valentin, d’offrir à votre chéri(e) du moment un ham-
        
        
          burger en forme de petit cœur fluo composé de pain aux noix et de
        
        
          compote de rose. La personnalisation se fait depuis un écran tactile
        
        
          installé à l’entrée qui construit devant vos yeux le prototype au fur et
        
        
          à mesure de son élaboration. Il n’y a plus ensuite qu’à retirer son œuvre
        
        
          prépayée et se la partager en se buvant à longue gorgée dans les yeux.
        
        
          De la même façon l’hyperpossible se déploie dans l’aménagement des
        
        
          fast-foods du futur qui seront fragmentés, comme les ruches, en petites
        
        
          alvéoles dont on pourra régler la luminosité, la température, le parfum
        
        
          et même l’ambiance musicale. Certains fast-foods très branchés permet-
        
        
          tront même enfin (on peut rêver !) de déjeuner en silence grâce à un
        
        
          système d’ondes négatives antibruit.
        
        
          Bien entendu, cette débauche de possibilités ne manquera pas de per-
        
        
          turber les vieillards du cœur et de l’esprit toujours épris de leurs bonnes
        
        
          vieilles habitudes. À l’autre extrémité du spectre marketing, on verra
        
        
          donc peut-être fleurir également des
        
        
          slow-food-little-choice
        
        
          où le client
        
        
          sera prêt à payer plus pour ne plus avoir à choisir hâtivement et même
        
        
          à ne plus devoir choisir du tout. À la limite, il ne connaîtra plus ni le
        
        
          menu ni les ingrédients ni le prix ni le délai de livraison. Une table lui sera
        
        
          attribuée d’office par une serveuse directive qui surveillera qu’il finisse
        
        
          son sandwich. L’effet de désangoisse est garanti : quel soulagement d’être
        
        
          libéré enfin de l’obligation de faire des choix !
        
        
          L’arbre ne doit pas cependant occulter la forêt. D’une façon générale,
        
        
          comme les galaxies au sein d’un univers en expansion, les restaurants
        
        
          vont se différencier de plus en plus. Avec le raccourcissement des chaînes
        
        
          d’approvisionnement imposé par l’augmentation du prix du carburant,
        
        
          le mouvement global de standardisation caractéristique des premières
        
        
          années du xxi
        
        
          e 
        
        
          siècle est en reflux. La grande démacdonaldisation du
        
        
          monde civilisé est désormais en marche. L’exception redevient la norme.
        
        
          Il sera même possible, au sein de certains fast-foods confidentiels, de signer
        
        
          le hamburger inventé, de le breveter, de le packager à ses couleurs, de le dif-
        
        
          fuser sur le Web et pourquoi pas, d’en retirer une honnête contribution.
        
        
          Et si le destin ultime du fast-food était de réveiller le créateur qui som-
        
        
          meillait sous le consommateur carnivore ?