L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
        
        
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          aspillage
        
        
          Rien ne ressemble moins à une pharmacie africaine qu’une pharmacie
        
        
          américaine. La pharmacie nord-américaine (par exemple le célèbre
        
        
          réseau de pharmacies canadiennes Jean Coutu) est une vaste demeure
        
        
          où le personnel est peu nombreux mais les quantités de médicaments
        
        
          énormes. Que vous preniez de l’aspirine ou des préservatifs, il vous
        
        
          faut en prendre des lots considérables. Le surplus, vous en ferez ce que
        
        
          vous voudrez (des chaussettes par exemple, pour les préservatifs : la
        
        
          compagnie pharmaceutique ne se préoccupe pas de ce genre de détail).
        
        
          In fine
        
        
          80 % des médicaments se retrouvent aux ordures, c’est-à-dire
        
        
          qu’ils sont réinjectés d’une façon ou d’une autre dans l’écosystème global
        
        
          sans même avoir été utilisés. La pharmacie africaine, mais on aurait pu
        
        
          dire aussi la pharmacie indienne ou la pharmacie péruvienne, procède à
        
        
          l’opposé. D’abord il y a très peu de pharmacies. Ensuite, les produits dis-
        
        
          tribués le sont en très petite quantité. On peut par exemple acheter un
        
        
          cachet d’aspirine à la pièce. Si en revanche les médicaments sont rares, le
        
        
          personnel est en revanche pléthorique. On peut donc supposer que dans
        
        
          un pays riche la main d’œuvre est coûteuse alors que la matière première
        
        
          est plutôt bon marché. Dans les économies pauvres au contraire, les
        
        
          produits matériels (et donc les minéraux ou l’énergie qu’ils occasionnent)
        
        
          coûtent relativement cher quand les services (et donc le temps humain
        
        
          qu’ils occasionnent) sont bon marché.
        
        
          Dans l’avenir, nous serons tous des pays pauvres. Les services et le temps
        
        
          humain seront donc de moins en moins coûteux. On retrouvera du
        
        
          personnel à foison : dans les pharmacies pour vous conseiller (mais éga-
        
        
          lement surtout pour vous aider à porter vos paquets), dans les stations-
        
        
          services pour nettoyer les pare-brise, dans les jardins pour arroser les fleurs
        
        
          ou balayer les feuilles mortes, dans les rues pour faire la psychanalyse des
        
        
          passants sur les bancs publics.
        
        
          En revanche, comme déjà aujourd’hui en Inde ou en Afrique, les denrées
        
        
          matérielles seront sérieusement rationnées. Les cerises et les fraises seront
        
        
          vendues à la pièce et peut-être aussi les grains de riz. Tout sera vendu au
        
        
          kilo selon les besoins effectifs, depuis des sacs odorants comme aujourd’hui
        
        
          déjà dans le souk de Marrakech : les condiments remplaceront les condi-
        
        
          tionnements. Finis les réfrigérateurs que l’on doit chaque semaine vider de
        
        
          leurs surplus périmé. D’ailleurs, il n’y aura plus de réfrigérateur. Chaque jour,
        
        
          Monsieur ou Madame font leur course au marché du village. D’ailleurs il n’y
        
        
          a rien d’autre à faire dans un pays redevenu agricole et touristique.