L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
        
        
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          et bien souvent se sacrifient à ce qui les dépasse. Le « dharma » japo-
        
        
          nais se rapproche de la « voie unique » des taoïstes ou des bouddhistes.
        
        
          Confucius pense que l’ordre social prime sur les caprices imprévisibles des
        
        
          personnes. Il n’y a qu’à se laisser porter, pourvu qu’on entre dans le plan
        
        
          et qu’on intègre le cycle immuable des choses. Le long terme prédomine
        
        
          sur le court ; l’englobant sur l’englobé. Un Extrême-Orient surpeuplé au
        
        
          regard de ses ressources naturelles ne saurait s’accommoder d’un excès
        
        
          de fantaisies individuelles.
        
        
          À l’inverse, l’Amérique du Nord, dont les ressources géographiques sont
        
        
          bien plus importantes au regard de la démographie, présente l’accomplis-
        
        
          sement individuel
        
        
          (personnal achievement)
        
        
          comme une finalité ultime.
        
        
          Cet accomplissement va de pair avec le culte de l’autonomie. Robinson
        
        
          Crusoé se débrouille très correctement dans la solitude avancée de son
        
        
          île. Siegfried, parfaitement isolé, semble parfaitement heureux dans les
        
        
          murmures de la forêt wagnérienne. Comme les sept nains de Blanche
        
        
          Neige, les dieux de l’Olympe avaient une individualité très marquée,
        
        
          soucieuse des sentiments personnels impérieux, et affirmaient leur diffé-
        
        
          rence sans complexe.
        
        
          Au centre de ces extrêmes, l’Europe, et plus singulièrement la France, ont
        
        
          toujours, semble-t-il, eu du mal à choisir.
        
        
          Officiellement, nous sommes dans le berceau de « l’ Humanisme » et
        
        
          des « Droits de l’homme » (avec une majuscule s’il vous plaît). Officielle-
        
        
          ment, Dieu n’existe pas puisque tout est permis au citoyen d’une démo-
        
        
          cratie laïque pourvu qu’il en respecte les lois.
        
        
          En pratique, c’est un peu plus compliqué. Dans la littérature ou le cinéma
        
        
          européen du premier xxi
        
        
          e 
        
        
          siècle, les personnages semblent plus avides de
        
        
          certitudes rassurantes que d’aventures exaltantes, d’intimité complexe
        
        
          ou d’atmosphères subtiles que de challenges planétaires. Et si les dieux
        
        
          se trouvent de moins en moins dans les églises ou les temples, ils conti-
        
        
          nuent à peupler le quotidien : le président de la République, le professeur,
        
        
          le patron, le journaliste qui officie à la télévision pendant la grand-messe
        
        
          du journal de 20 heures, le maire, le juge d’instruction ou le tout-puissant
        
        
          « médecin traitant » continuent à faire la pluie et le beau temps avec la
        
        
          complicité plus ou moins ambiguë de leurs victimes qui grognent mais
        
        
          obtempèrent.
        
        
          Cette habitude n’est pas vraiment neuve : elle date de l’empereur Auguste
        
        
          qui était officiellement un « Dieu vivant » il y a de cela plus de vingt