L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
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N
arcissisme
Depuis la fin du xx
e
siècle, une épidémie de narcissisme s’est répandue,
surtout dans les pays riches, avec toutes ses caractéristiques : « culte
du Moi » sans concession, élitisme sans compassion, caprices sans
modération, indifférence totale à la personne d’autrui (sauf quand bien
sûr autrui est puissant ou utile).
Cette épidémie a eu sa logique marketing : les personnalités narcissiques
sont souvent riches (du fait de leur avidité) et friandes de produits de
luxe, de marques ou de modes qui vont les glorifier.
Mais cette justification économique possède un revers de médaille : le
développement d’une économie du rêve implique le développement
d’une monnaie de rêve (on dit aussi : une « monnaie de singe »), inspirée
par des « services » impalpables, des intermédiaires inutiles et tout un
peuple de fantômes. En d’autres termes, cette culture narcissique de la
glorification de soi dans le rêve est un peu à la source de nos crises et
de nos impasses économiques. Pour un hamburger servi chez MacDo,
il y a 150 fois le prix du hamburger qui circule entre les banques, les
produits dérivés et les paradis fiscaux. Si tous les porteurs, petits et
grands, s’avisaient, sous un coup de panique (ou de lucidité), de liquider
leurs placements le même jour, la planète Terre pourrait être déclarée en
faillite et rachetée pour un euro symbolique.
La structure narcissique de la personnalité possède d’autres inconvénients
non négligeables : elle favorise la consommation outrancière, encourage
un individualisme dépassé, décourage une fraternité plus que jamais
nécessaire, dissuade le partage de ressources communes. Le narcissique
tient à garder pour lui tout seul son automobile (voire son jet privé), sa
maison, sa piscine, sa chambre, son lit, etc. Il a le culte de la propriété
privée au moment où celle-ci n’a jamais été aussi dangereuse dans un
contexte de raréfaction des ressources.
Pour toutes ces raisons, on peut s’attendre à un reflux de la culture
narcissique. Les personnalités narcissiques pourraient fort bien, aux postes
de pilotage qu’elles affectionnaient tant, être remplacées progressivement
par des individus plus responsables, plus partageurs et moins gloutons.
Quelques grands prédateurs néo-préhistoriques subsisteront bien
entendu dans la haute atmosphère de la politique, du show business ou
du business tout court pour continuer à faire rêver (ou à faire jaser) le
petit peuple austère de demain.
