L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
        
        
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          I
        
        
          En fait, tout est inclus dans une formule assez simple : (D*R)/E = constante,
        
        
          où D figure la démographie (en nombre d’habitants), R, le revenu par
        
        
          habitant et E, l’énergie disponible à la consommation. Actuellement,
        
        
          l’Européenmoyen dispose de l’équivalent énergétique de 50 esclaves à son
        
        
          service personnel si l’on convertit l’énergie musculaire que peut donner
        
        
          un homme en TEP (Tonne Équivalent Pétrole). Ces 50 esclaves (100 aux
        
        
          États-Unis) sont en charge de vous véhiculer où bon vous semble dans
        
        
          votre carrosse, d’aller pour vous au bout du monde chercher ce bœuf
        
        
          d’Argentine ou ces fruits exotiques dont vous raffolez, comme l’ananas
        
        
          Victoria ou la maracuja d’Amazonie, de faire tourner la nuit votre lave-
        
        
          vaisselle ou votre sèche-linge et même de vous préparer de temps en
        
        
          temps un petit Nespresso.
        
        
          Si l’énergie disponible diminue, il n’y a que deux solutions : soit réduire
        
        
          de façon drastique la démographie (D) par des famines, des guerres, de
        
        
          l’infanticide ou de l’extermination en masse, soit réduire de façon mas-
        
        
          sive votre niveau de vie (R), c’est-à-dire le nombre d’« esclaves fossiles »
        
        
          mis à votre disposition. Dans les deux cas : reflux démographique vers le
        
        
          1 milliard d’habitants de 1800 et/ou reflux économique vers le niveau de
        
        
          vie des paysans de 1789.
        
        
          Il y a donc comme un petit souci.
        
        
          On peut dès lors supposer que le terme d’« insouciance » va disparaître
        
        
          progressivement de votre vocabulaire. À moins bien sûr que ce ne soit
        
        
          pour la dénoncer.
        
        
          La disparition de l’inconséquence sera-t-elle l’un des corollaires de
        
        
          la raréfaction de l’insouciance ? Avec l’effondrement des ressources
        
        
          énergétiques, le droit à l’erreur risque lui aussi de décliner. On cherchera
        
        
          à couper les causes de leurs effets secondaires. On déconnectera la
        
        
          sexualité de ses conséquences en termes de procréation. On réduira la
        
        
          pollution et l’accumulation des déchets en rendant toute production
        
        
          autodégradable. On deviendra très prudent en matière de clonage, de
        
        
          manipulation génétique transmissible par l’hérédité, de destruction des
        
        
          espèces vivantes (la moitié environ des espèces vivantes ont déjà disparu
        
        
          depuis 1800), de pollution irréversible comme Tchernobyl.
        
        
          L’individualisme irresponsable des années 1968 (juste avant le premier
        
        
          choc pétrolier de 1973) ne risque-t-il pas, lui aussi, de passer de mode ?
        
        
          L’individualisme est possible quand le rapport triangulaire (D*R)/E est
        
        
          favorable, comme sous la Renaissance italienne, dans la Hollande du
        
        
          xvii
        
        
          e 
        
        
          siècle, la France du Second Empire ou les États-Unis de Kennedy.