L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
        
        
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          Certains chiffres laissent songeur. Le Français moyen riait plus d’une
        
        
          demi-heure par jour en 1934. En 2010, il rit chaque jour moins de cinq
        
        
          minutes. Il suffit d’effectuer une immersion dans un métro ou dans une
        
        
          rue européenne pour se rendre compte que le rire n’y existe plus. Les
        
        
          explosions de rire semblent désormais sagement réglementées, canali-
        
        
          sées et cantonnées aux salles de cinéma ou de théâtre, à des horaires
        
        
          bien précis, pour des spectacles spécialement dédiés, où l’on se rend
        
        
          précisément pour rire : le rire sur commande en quelque sorte.
        
        
          Il faut savoir que le rire a une fonction sociologique bien précise. Déclen-
        
        
          ché lorsqu’après avoir accumulé une angoisse, on découvre soudain qu’il
        
        
          n’y avait en fait aucun danger, le rire permet de rassurer ses proches, de
        
        
          baisser leur garde et de rétablir la cohérence harmonieuse de sa com-
        
        
          munauté. Pour ceux qui entendent le rire, celui-ci indique l’absence de
        
        
          danger. Ils peuvent donc se relâcher et produire au niveau du cerveau
        
        
          des endorphines agréables. Celui qui rit se libère du stress d’une fausse
        
        
          alerte. Et c’est pourquoi le rire rend joyeux. Et c’est pour cette raison aussi
        
        
          que rien n’est plus perturbant que d’assister à un éclat de rire dans le péril
        
        
          évident, comme seuls savent le faire les ogres pour enfants, les savants
        
        
          fous ou les dictateurs cruels des productions hollywoodiennes.
        
        
          Notre temps est l’un des plus stressants qui furent dans la mesure où
        
        
          il s’inscrit dans une mégamétamorphose, un carambolage d’hyper-
        
        
          changements technologiques, économiques, sociologiques et culturels.
        
        
          L’hyper-menace est aujourd’hui protéiforme, impalpable, insaisissable
        
        
          car trop complexe et trop fugace. Elle n’est pas compréhensible par les
        
        
          yeux ou les oreilles, mais accessible uniquement par l’esprit qui ne peut
        
        
          pas non plus la comprendre car elle dépasse l’entendement humain. Elle
        
        
          ressemble à un fantôme invisible mais omniprésent par le changement
        
        
          constant qu’il vous impose et le malin plaisir qu’il trouve à désarticuler
        
        
          les habitudes auxquelles vous êtes maintenant attaché. Les dangers qu’il
        
        
          suggère se conjuguent dans un imaginaire du danger comme il n’y en
        
        
          a qu’au cinéma. Votre vie quotidienne prend des allures de thriller à la
        
        
          Hitchcock. N’avez-vous pas l’impression de n’avoir jamais autour de vous
        
        
          enregistré autant de confuse inquiétude ?
        
        
          Jamais le rire n’aura donc été à ce point nécessaire. Provoqué par le stress
        
        
          dont il est également le médicament, le rire est un outil irremplaçable
        
        
          de santé mentale. Il permet d’effectuer rapidement le travail émotionnel