L’art de s’accrocher à ce qui n’existe plus et de disparaître avec
        
        
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          amille
        
        
          Il était une fois un monde où la famille était une molécule très simple.
        
        
          Autour d’un noyau constitué de deux parents-protons gravitaient deux
        
        
          enfants-électrons qui couraient dans tous les sens, surtout à l’heure du
        
        
          retour de l’école. De temps en temps, un couple d’amis-neutrons venait
        
        
          se joindre aux parents le temps d’une soirée entre amis, mais cela ne
        
        
          prêtait guère à conséquence puisque les neutrons sont neutres.
        
        
          Le monde évolua vers des structures de plus en plus multipolaires.
        
        
          Au coin du siècle, une civilisation nouvelle fit son apparition avec des
        
        
          entreprises multi-clients et multi-fournisseurs, des cadres multi-métiers
        
        
          et multi-employeurs, des hommes multi-nationalités et multi-domiciles.
        
        
          En tous domaines, le multi sembla prendre la relève du mono. Le cloison-
        
        
          nement des compétences, des castes et des réseaux si caractéristiques
        
        
          de la fin du xx
        
        
          e
        
        
           siècle sembla perdre de sa vigueur.
        
        
          La molécule familiale, pour rester dans le coup, dut à son tour expéri-
        
        
          menter les joies et les tristesses du multi.
        
        
          L’amour multiple commença par être de plus en plus toléré. Il devint
        
        
          admissible d’être amoureux plusieurs fois, d’abord successivement,
        
        
          ensuite simultanément. Une approche inclusive de l’amour décloisonna
        
        
          les vieux modèles et les amis de Madame devinrent les amis de Monsieur
        
        
          comme les amours de Monsieur devinrent celles de Madame. Juxtaposés
        
        
          aux protons stables, il y eut donc des protons multi qui se partageaient
        
        
          entre plusieurs atomes, surtout dans les grandes villes cosmopolites.
        
        
          Les protons arrivants amenaient avec eux quelquefois des électrons aussi
        
        
          nomades qu’eux et c’est ainsi qu’on assista à l’apparition des enfants
        
        
          multi-familles, dotés de plusieurs mères et de plusieurs pères à la fois.
        
        
          Chacun d’eux disposait de plusieurs chambres d’enfants, de plusieurs
        
        
          nounours ou de plusieurs poupées Barbie qu’il retrouvait parfois au
        
        
          hasard des pérégrinations de son papa ou de sa maman volante. Il y eut
        
        
          donc ainsi des petites filles multi-poupées et des poupées multi-petites
        
        
          filles. Les enfants multi-parents se mirent bien sûr à fréquenter plusieurs
        
        
          établissements et devinrent les pionniers du multi-école, parfois dans un
        
        
          contexte multilinguistique.
        
        
          Les salles d’attente des pédopsychiatres se remplirent. Unpeu désemparés
        
        
          par cette complexité, certains d’entre eux préconisèrent l’expérience de
        
        
          la communauté de partage dont le principe demeurait, somme toute,