L'art de se faire des ennemis - page 164

Tout dire, mais bien le dire ; bien le dire, mais tout
dire.
Quand personne ne sait ce que vous pensez, la porte se
trouve ouverte à tous les malentendus. La communica-
tion tue la haine. Le silence partagé l’engendre. Si un
jour, comme mon ami Triton, vous vous mettez en colère,
dites-vous bien que la première chose à faire, c’est d’in-
viter votre ennemi au restaurant et de commander une
bouteille (ou deux) de Bourgogne euphorisant.
Dire ce qu’on ne supporte pas.
On finit toujours par dire ce qu’on ne supporte pas. Mais
plus on en diffère le moment, plus on complique souvent
les choses par une espèce d’agressivité inutile, hors de
propos, anachronique. Nous conviendrons d’entendre
par «
anachronisme
» cette attitude bizarre, mais très
répandue, qui consiste à ne pas exprimer ses malaises au
moment où il serait utile de le faire mais bien plus tard
quand ça ne sert plus à rien, avec souvent une émotion
d’autant plus explosive qu’elle a été contenue longtemps.
Dire ce que l’on aime.
La maladie des Français est de se sentir déshonorés
devant la perspective de dire qu’ils aiment quelque chose
ou quelqu’un. Seul le discours critique leur semble hono-
rable et décent. Pourtant, depuis que le monde est
monde, on n’a jamais vu un être étranglé par un autre
pour lui avoir dit qu’il l’aimait. D’autant que lorsque c’est
sincère, ça peut même faire plaisir.
Dire ce que l’on veut.
C’est la première chose à faire pour l’obtenir, l’autre
n’étant pas nécessairement devin, et n’ayant pas néces-
sairement suivi un stage à l’Institut François Bocquet.
Supposons maintenant que les relations vraies vous
fassent horreur, parce qu’elles sont encombrantes,
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