L'art de se faire des ennemis - page 155

les voit ensemble, ils sont comme congelés. Tout se passe
comme si le prix à payer pour le maintien du fragile équi-
libre résidait dans la capacité de chacun à se mettre entre
parenthèses.
2)
L'homme seul bénéficie d'une énergie bien plus grande
que l'homme marié. Balzac ou Rossini arrêtent de pro-
duire le jour de leur mariage. Le couple permanent
demande à chacun de ses adhérents une sorte d'impôt,
une contribution énergétique considérable, qui réduit
du coup l'argent de poche individuel. Les célibataires
font en général beaucoup plus de choses que les gens
mariés : ils ont du temps, de l'énergie et de l'argent.
3)
La compagnie des autres vous prive de ce luxe sans
prix : un peu de solitude. Ce n’est pas trop d’une vie pour
faire la connaissance de tous les êtres que nous
portons au fond de nous. Bien peu nombreux sont ceux
qui sont capables de se taire en regardant la mer.
4)
On ne peut aimer que ce dont on est privé, de même
qu’on ne peut donner que ce qu’on n’a pas. Le solitaire
a l’appétit des autres. Quand il en rencontre un, il le voit,
il le regarde, il l’écoute, il l’entend. La solitude donne
de la saveur aux rencontres de même que l’appétit donne
du goût aux aliments. Il suffit de voyager seul dans un
pays où il n’y a personne pour s’en rendre compte. Tout
se passe comme si le plaisir qu’on a à rencontrer ou à
revoir quelqu’un était directement proportionnel au
manque, à l’absence, à la faim dont on vient de souffrir.
5)
L’homme affamé possède sur l’homme rassasié un
avantage considérable. Il a une direction, un sens, une
logique. Il va... manger.
6)
Il n’y a pas d’amour sans privation avant. Il n’y a pas
non plus d’amour sans frustration après. En fait, pour
compliquer un peu Stendhal, l’amour résulte de la
et de saboter ses relations de couple
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