L'art de se faire des ennemis - page 80

une multitude de petites relations sociales ou payer pour
quelques gros investissements affectifs à long terme. On
peut évidemment se risquer à la double bataille, mais qui
cherche un double succès risque probablement aussi une
double déconfiture.
Une recommandation de bon sens s’adresse par consé-
quent à tous les candidats au bonheur :
Renoncez, si vous l’avez, à l’habitude de vouloir plaire
à tous ceux que vous rencontrez.
Le grand principe de la prodigalité de moyens s’impose
ici encore avec vigueur. Il y a, nous l’avons vu, en toutes
choses, un point au-delà duquel les moyens se retour-
nent brutalement contre la fin au service de laquelle ils
s’étaient pourtant mis, comme le médicament qui, pris à
doses excessives, peut devenir un poison. Ceci est vrai de
l’art de plaire. De nombreux artifices peuvent, à faible
dose, aider à faire une conquête (ou à l’entretenir). On
peut faire des compliments, sourire, écouter attentive-
ment. Mais lorsqu’on en fait trop, il arrive ce qui arrive à
la tartine lorsqu’on la charge trop de beurre : elle devient
indigeste. D’où cette loi étrange qui fait que l’une des
méthodes les plus assurées pour s’attirer l’antipathie,
c’est de vouloir avec excès forcer la sympathie.
Ce que veulent les humains, ce n’est pas qu’on essaie de
leur plaire, ce n’est même pas d’être aimés, c’est de se
sentir choisis.
D’où cette méthode paradoxale pour susciter l’antipathie :
Faites comme la mouche : allez renifler sans
discrimination toutes les assiettes qui traînent sur
la table.
L’art de se faire des ennemis
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