L'art de se faire des ennemis - page 70

Les questions directes, venant d’un inconnu, incitent à
la défensive. Ici la ligne oblique est plus payante que la
perpendiculaire. Il est fréquent que l’interlocuteur ait
dans les mains un livre ou un autre objet qui peut servir
de terrain neutre. Voici un premier panneau indicateur
qui vous indique un centre d’intérêt.
Entre le ton sérieux et le ton familier, n’hésitez pas :
ne prenez aucun des deux, mais optez en revanche pour
le sens de l’humour.
L’autre brûle toujours de vous parler de lui, de vous
raconter son roman : il a besoin de vous pour digérer sa
vie. Mais en même temps, il a besoin qu’on l’apprivoise,
qu’on le mette en confiance. Vous saurez que cet objectif
est atteint dès que vous aurez obtenu un premier sourire.
Parlez de vous le moins possible, et quand vous le
faites, faites-le sobrement.
La vérité est quelquefois triviale : autant votre interlocu-
teur trouve passionnante son autobiographie, commen-
taires inclus, autant il trouve sûrement la vôtre mono-
tone. Ceci posé, quelques confidences personnelles,
brèves, et espacées, peuvent faciliter les confidences en
les justifiant.
Si vous souhaitez qu’on pense du bien de vous,
commencez par ne pas trop en dire.
Paraphrasant Hegel qui considérait que l’affirmation de
l’autre commence par la négation de l’autre, on peut
poser que la négation de l’autre, qui conduit à la solitude,
culmine dans l’affirmation de soi. Paradoxalement, le
meilleur moyen de tuer la relation balbutiante, c’est de
vous obstiner à convaincre que vous êtes quelqu’un de
brillant ou d’important. Les autres se fichent que vous
soyez quelqu’un de brillant, ce qui les préoccupe en
revanche infiniment, c’est que vous les perceviez, eux,
comme des étoiles brillantes. Et en ce sens on peut poser
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