L'art de perdre son temps - page 61

Web où le raisonnement approfondi cède la place à un
feu d’artifice de molécules d’information éparpillées.
L’homme de 2020 («
Homo 2020
») est lui-même une
mosaïque. À l’affiliation monolithique de nos grands-
parents (le curé, le maître d’école ou le notaire) succède
une généralisation de la multi-appartenance. Le même
homme peut par exemple être juif pratiquant, avocat,
grand amateur de golf et président de l’association des
parents d’élèves. Chaque fois qu’il change de casquette, il
change de vêtement, de langage et de système de
valeurs. De plus, le même individu peut de nos jours
se retrouver dix ans plus tard avec une panoplie de
casquettes tout à fait différentes. L’identité individuelle se
met elle-même à zapper à longueur de journée ou à
longueur de vie comme un enfant de 6 ans peut zapper
à longueur de soirée en regardant la télévision.
Le besoin de cohérence est plus nécessaire que jamais.
Cette cohérence, que l’habit social n’apporte plus à
l’homo 2020, il doit dorénavant la trouver en lui-même :
il lui faut désormais s’autodéterminer et inventer sa
propre unité intérieure s’il veut être autre chose qu’une
marionnette ou un pantin emporté par les courants et
les marées.
Les jambes et les pieds ne suffisent pas à faire tenir un
homme debout. Il faut encore une tête et un cerveau
qui équilibrent en permanence le corps et la contraction
des muscles pour l’empêcher de chanceler. Il y a un équi-
librage, discret, mais incessant.
À l’équilibre naturel du paysan de l’Antiquité ou de
l’ouvrier de l’ère industrielle succède un mouvement
d’équilibrisme permanent. Cet équilibre s’obtient d’abord
en se méfiant des excès autant que des carences. Une
culture du refus, un certain art de (se) dire non assez sou-
vent, deviennent une condition de survie identitaire.
et d’en faire perdre aux autres
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